Côte d’Ivoire : Devoir de mémoire/ L’étrange histoire de N’SIKAN, Le Roi du transport routier fondateur UTB.

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Unite.ci :  Incroyable histoire d’un analphabète qui est devenu le transporteur le plus puissant de la Côte d’Ivoire

L’étrange histoire de N’SIKAN, Le Roi du transport routier fondateur UTB

Débarqué de son village natal à l’âge de 16 ans, N’sikan l’adolescent analphabète n’avait à son actif que son passé d’éleveur de « poulet-byciclette ». Après une tentative avortée auprès de la mission catholique à Bouaké de le faire inscrire au CPI, à l’âge de 17 ans, son aîné et tuteur Kouamé N’zué Jérôme se résigna à lui inventer un autre destin. Ainsi, Kouamé Konan N’sikan entre vers 1950 dans la pyramide économique urbaine par le bas, en qualité de tablier et apprenti mécanicien.

L’AÎNÉ JÉRÔME, SON PREMIER MENTOR

Ses débuts hardis auprès de son frère, il les raconte lui-même dans le livre de Jean-Luc Djea : << Mon frère aîné me fit confectionner une petite table de commerce. Je vendais des bonbons, des petits biscuits et des cigarettes. Je reversais chaque fois l’argent à mon aîné. Et je crois que cela créa en lui ce déclic qui l’amena à démissionner de la CFAO pour créer sa propre boutique à Sakassou, ville située à 30 Km de Bouaké. Quant à moi, je devins grâce à M. Sékou, un ami de Jérôme, apprenti mécanicien. Les affaires de mon frère prospéraient. Il acheta deux vélos: un pour lui et un pour moi. Un jour, alors que nous retournions, heureux, au village sur nos vélos après avoir fait le point du magasin, il me confia : << Petit frère, aujourd’hui nous sommes à vélo mais un jour, c’est en voiture que nous irons au village >>. J’étais étonné de l’entendre dire cela, mais lui seul savait pourquoi il était si optimiste. Il était très économe et nous faisait vivre une vie austère faite de privations. Il nous arrivait de ne pas manger de viande pendant des semaines. Car à cette époque-là, le kilogramme de viande coûtait 100 f cfa et c’était un luxe pour nous. Pendant que nous menions cette vie de privation, Jérôme faisait des économies. Que ne fût ma surprise quand un jour, il arriva avec une voiture Renault bâchée. Je fus très fier de lui. Il m’aidait beaucoup. J’étais devenu son homme de confiance. Ensemble nous suivions ses affaires. Puis un jour, il m’acheta un mini-car de 18 places qu’on appelait « 1000 kilos » ou « rapide ». Il l’avait acheté à 800.000 F CFA et me le remit pour faire le transport. Vous ne pouvez pas imaginer ma joie ce jour-là. (…) Sur 40 km, je prenais 100 F cfa et 50 F cfa sur 20 km. En six mois, j’obtiens une recette de 800.000 F cfa. En six mois, je venais de rembourser l’argent de l’achat du car >>.

JEAN ABILE-GAL, LA RENCONTRE DE SA DESTINÉE

Le succès des débuts fut brutalement freiné par la mort du frère aîné. La famille, incontournable prédatrice d’héritage, se partage les biens amassés par les deux frères et le petit N’sikan se retrouve au bout du compte, à la case départ. Pour se refaire, il nourrit l’idée de s’insérer dans la filière d’achat du cacao en tant que pisteur. Refoulé par plusieurs bailleurs en raison de son analphabétisme, il finit par rencontrer un négociant juif. Qu’il considère jusqu’à sa mort comme son mentor, celui auprès de qui, il apprend et assimile les rouages du fonctionnement de l’entreprise familiale, que les juifs ont la réputation de maîtriser à la perfection. Il témoigne des circonstances de leur rencontre en ces termes: << En 1957, j’avais voulu faire l’achat de produits agricoles entre autres, café et cacao. Mais les blancs de l’époque trouvaient que j’étais illettré et qu’on ne pouvait me faire confiance dans ce domaine. Je fus très déçu et je suis rentré chez moi. Puis un jour je rencontrai un monsieur du nom de Jean Abile-Gal [Ets. JAG]. Il m’a tendu la main et nous avons commencé à faire l’achat de produits ensemble. Je commençai comme un « dohoun-ta » (bagagiste en dioula), c’est-à-dire celui qui charge et décharge le camion. Puis il m’a financé par la suite. C’est bien lui qui m’a inculqué le travail dans un esprit familial. A la mort de ses parents, c’est lui qui s’est battu pour maintenir leur entreprise familiale. Il travaillait avec les membres de sa famille et il faisait tout pour que chaque membre de sa famille soit à l’aise. Cela m’a inspiré. Et je me suis juré de suivre son exemple si toutefois, j’en avais les moyens. Jean Abile-Gal me payait 3 F Cfa de ristournes sur le kilogramme au lieu de 6 F Cfa que payaient les autres acheteurs, et je m’en contentais. A ce propos, Djibo Sounkalo [1er maire de Bouaké de 1956 à 1980] m’interpella un jour en ces termes : « Toi N’sikan, tu es fort hein ! Comment fais-tu pour avoir de l’argent en travaillant avec un juif ?  » Évidemment cela m’a fait rire. Moi je savais qu’Abile-Gal me sous-payait mais l’important pour moi, c’était d’apprendre auprès de lui >>. Et il ne pense pas si bien faire, car contrairement aux supputations et allusions fétichistes, cette expérience acquise auprès du négociant juif est la clé qui ouvre à N’sikan le destin d’entrepreneur qui le révèle à la Côte-d’Ivoire.

LA SORTIE DU TUNNEL

Avec l’expérience acquise, il se réintroduit dans le négoce du cacao à son propre compte, avec un véhicule de trois tonnes. Navigant sur l’explosion des tonnages de la fève ivoirienne durant la décennie 1960, N’sikan renforce sa flotte de véhicules avec un camion MAN de dix tonnes, une remorque, puis trois grumiers affectés au commerce de bois d’ébène sur l’axe Duekoué-Abidjan. A cet appareillage, il faut ajouter en 1970 six camions qui convoyaient la noix de colas et divers autres produits vivriers en direction du Mali et de la Haute-Volta. C’est après cet intermède couronné de triomphe que son destin de transporteur, contrarié par le décès brutal de son frère aîné, le rattrape. Il explique à ce sujet : << Me voici devenu un opérateur économique prospère. On parlait de moi dans tous les milieux. Ainsi, face aux difficultés que les populations rencontraient à rélier Bouaké et Abidjan, certaines personnes sont venues me voir pour me demander de tout faire pour mettre des cars sur la ligne >>.

Voici comment celui qui avait été successivement apprenti mécanicien, balanceur puis chauffeur de Renault bâchée, et chauffeur de « 1000 kilos » fait un retour gagnant dans le transport après s’être patiemment réconstruit auprès de Jean Abile-Gal et sur les chemins boueux de la boucle du cacao. Il créée la compagnie de transport UTB en 1984 qui rencontre un succès immédiat et continu en 34 ans d’histoire. Cet adolescent analphabète entré dans la pyramide économique nationale en tant que tablier tire aujourd’hui sa révérence au sommet de la gloire, auréolé du titre de PDG d’un empire financier tentaculaire opérant dans le transport interurbain, l’hôtellerie, les hydrocarbures, et le BTP. Ce sommet, il le percevait comme une rampe de lancement pour conquérir les airs. C’était le dernier de ses rêves, qu’il ventilait à quelques confidents : lancer une compagnie aérienne sous-régionale, une sorte d’AIR UTB qui parachèverait le projet de conquête entamé par sa flotte de cars et ses lignes sans-frontières. Mais hélas! On ne peut pas tout réussir. A défaut de conquérir le ciel, gageons que UTB ne se fracasse pas au sol dans une guerre d’héritiers anti-économiques.

Dr BANGALI N’goran

Historien, enseignant-chercheur

 

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